Conseil de prud’hommes de Paris, 10 octobre 2011

Mme F a saisi l’AVFT en 2005. Pendant plusieurs années, il n’a pas été question pour elle d’engager la moindre démarche judiciaire. Sa priorité était de conserver son emploi. Mme F, cheffe de rang dans un restaurant de luxe, avait des revenus très importants du fait des pourboires qu’elle touchait. Ces revenus lui permettaient de rembourser un crédit immobilier pour l’achat d’une maison dans laquelle elle pouvait loger une partie de sa famille en grande précarité.

Mme F refusant catégoriquement de dénoncer ces faits auprès de l’employeur, l’AVFT lui a cependant fait effectuer un certain nombre de démarches afin de garantir ses droits le cas échéant : saisine de l’inspection du travail, information du médecin du travail -Marilyn Baldeck l’accompagne à de très nombreux rendez-vous- suivi psychologique, tenue d’un journal, dont voici un extrait :

« (…) on avait comme consigne de la part des managers, sous la directive d’AD, de tout le temps s’habiller d’une manière très sexy ; particulièrement les soirs et surtout pendant les périodes de collections de haute couture. La manager DA nous réunissait pour nous informer « qu’il fallait être « bonnes » (sic), que les clients aient envie de nous, qu’on soit comme des puputes » et « qu’AD disait que la personne qui ne serait pas habillée de telle façon, se mettant en pantalon ou dans un haut non décolleté sera à l’étage ». Ce qui avait une répercussion directe sur nos pourboires : la « belle clientèle, riche et généreuse (VIP) », était placée uniquement dans les rangs d’en bas. Durant l’année 2008, ils ont réalisé une affiche, placardée à l’office, mentionnant que les rangs seront distribués en fonction des critères d’habillement, s’il est sexy ou pas. Parfois il arrivait à AD de crier sur les filles, pourtant correctement habillées, leur ordonnant d’enlever « ces sacs de patates », et d’aller chez Zara sur les Champs Elysées, se procurer des vêtements respectant ses critères « sexy » ou « de se faire prêter des vêtements d’une autre serveuse ». Il lui est arrivé de me demander, de me faire prêter un haut ou une robe d’une autre serveuse, ne trouvant pas ma tenue décolletée, alors que je portais un vêtement convenable pour ce type de lieu de travail. Obligées de se vêtir d’une manière « sexy », certains clients masculins, au moment de choisir leurs desserts, me demandaient si j’étais « incluse dans la carte » et lorsque je répondais négativement, ils rétorquaient « c’est dommage, je ne prendrai pas de dessert ce soir ». Compte tenu des consignes vestimentaires et de la réaction de certains clients, j’avais l’impression qu’on faisait partie des éléments de décors, et qu’on était là pour inciter leurs appétits ».

Ces « consignes » sont le terreau du harcèlement sexuel et des agressions sexuelles dénoncés par Mme F, qui se doublent d’une entreprise de dénigrement et d’humiliation confinant au sadisme (le gérant, pour un exemple parmi d’autres, essuie la bave de son chien sur les joues de Mme F en guise de représailles).

Mme F « tient » tant bien que mal. En septembre 2008, elle annonce sa grossesse. La réponse ne se fait pas attendre : le gérant la place sur les rangs les moins rentables, à l’étage du restaurant, là où elle est la moins visible, au motif qu’enceinte elle serait « inesthétique » et perdrait de sa « valeur commerciale ».

A la fin de son congé maternité, lequel lui a permis de prendre du recul et au terme duquel elle se sent incapable de retourner travailler, le médecin du travail la déclare inapte à tous postes dans l’entreprise. Elle est licenciée pour ce motif. En réponse à la lettre de licenciement, elle dénonce les raisons qui l’ont rendue inapte et donc l’illégalité de son licenciement.

L’employeur mène une pseudo-enquête auprès des serveuses qui, sans surprise compte tenu du climat qui règne dans le restaurant, attestent toutes en faveur de leur employeur.

L’inspecteur du travail atteste lui-même de ce climat et de la difficulté d’enquêter dans l’entreprise, les salariées lui raccrochant au nez quand il les appelait ou lui disaient qu’elles ne pouvaient rien lui dire sans l’autorisation du gérant !

Même si juridiquement le « dossier » se tient, lors de l’audience (Mme F est représentée par Me Ovadia et l’AVFT par Marilyn Baldeck) la perplexité des conseillers est palpable : ils ne comprennent pas pourquoi elle n’est pas partie plus tôt, nonobstant la forte contrainte économique qui pesait sur elle.

Sans surprise, le Conseil rend une décision de partage de voix sine die (sans date pour l’audience de départage).

A l’heure actuelle, Mme F a retrouvé un emploi mais beaucoup, beaucoup moins payé. Elle a dû vendre sa maison et vit dans un deux-pièces avec ses deux parents et sa fille.

Print Friendly, PDF & Email
Cliquez pour partager sur Facebook (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Twitter (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Whatsapp (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager par email (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour obtenir un PDF de cette page prêt à imprimer ou à partager par email