Lettre à Mme Taubira, ministre de la Justice : quelle sécurité pour Mme R ?

Madame Christiane Taubira
Garde des Sceaux, Ministre de la Justice
Ministère de la Justice
13, place Vendôme
75042 Paris Cedex 01

Paris, le 25 septembre 2013

Objets : Audience de la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence contre RS pour tortures et actes de barbarie ayant entraîné une infirmité permanente (Assises n°XXXX, Affaire n°XXXX). Placement sous assignation à résidence avec surveillance électronique de ce dernier.

Madame la ministre,

Mme R, 70 ans le mois prochain, demeurant à Montpellier, a été victime pendant 30 ans de violences dont la gravité dépasse l’imagination, commises par son ex-mari, RS.

Mme R. a porté plainte contre lui en juin 2009, plainte qui a abouti à la mise en accusation de RS devant la Cour d’Assises d’Aix-en-Provence pour tortures et actes de barbarie ayant entraîné une infirmité permanente. L’arrêt qui prononce la mise en accusation de RS fait notamment état de violences physiques extrêmes et des sévices sur le sexe qui le sont tout autant (notamment brûlure du sexe à l’aide d’alcool à brûler, arrachage d’une petite lèvre…) ayant entraîné entre autres conséquences la perte de dents, l’ablation des muscles d’un bras – sclérosés du fait des coups – la cécité d’un ?il, la déformation du nez, des oreilles, de la langue, la perte d’une corde vocale, littéralement la disparition d’une lèvre buccale, ayant nécessité une chirurgie reconstructrice importante, la perte d’une partie du goût, de l’audition, de la voix, la mutilation du sexe. Toutes ces violences ne sont cependant pas retenues dans la prévention, pour cause de prescription, sujet sur lequel il y aurait fort à dire.

Son préjudice économique est aussi immense, puisque RS s’est approprié l’intégralité de ses revenus pendant toute la durée de leur mariage.

Par jugement du 7 mars 2013, Mme R a d’ores et déjà été indemnisée par la CIVI de Montpellier, qui a rejeté la demande de sursis à statuer du Fonds de Garantie des victimes d’actes de Terrorisme et d’autres infractions, jugeant « que la gravité des faits et de leurs conséquences impose une action rapide de la solidarité nationale en faveur de la victime » et a fait droit à la demande de relevé de forclusion de Mme R, relevant qu’elle « a été soumise à l’emprise physique et morale de son mari pendant tout la durée de son mariage » et qu’elle n’a ainsi « pas été en mesure de faire valoir ses droits dans les délais requis ». C’est donc la reconnaissance par la CIVI d’un puissant mécanisme d’emprise, réalité si souvent incomprise par la Justice, qui a permis à Mme R d’être indemnisée y compris pour les violences les plus anciennes.

Bien que les violences dont Mme R a été victime se situent en dehors du champ de compétences habituel de l’association, il était exclu de ne pas lui apporter notre soutien, dès lors qu’elle n’avait pas trouvé d’association, locale ou nationale, répondant à ses attentes. Nous la soutenons donc depuis janvier 2012, notamment en la préparant à l’audience de la Cour d’Assises.

Ainsi avons-nous pu constater que jusqu’à la mise en accusation de RS devant la Cour d’Assises, le service public de la Justice a fonctionné de manière satisfaisante vis-à-vis de Mme R.

Nous ne pouvons hélas prolonger ce constat pour ce qui est de l’audiencement de « l’affaire » par la Cour d’Assises.

Par lettre du parquet général d’Aix-en-Provence adressée à son avocat en février 2013, Mme R a appris que l’audience se tiendrait du 1er au 5 juillet suivant.

Alors qu’elle s’y préparait psychologiquement depuis plusieurs mois, elle a appris en avril que l’audience était déplacée au mois de septembre (du 23 au 27), modification fortement déstabilisante pour elle.

Un mois plus tard, soit en mai 2013, le parquet général décidait à nouveau d’un renvoi, cette fois sans date, renforçant l’anxiété et le sentiment d’abandon de Mme R.

En juin 2013, elle était informée que l’audience était à nouveau programmée, en février 2014, mais sur une durée de trois jours et non plus de cinq comme initialement prévu, ce qui nous semble incompréhensible au regard du temps nécessaire à un jury populaire pour appréhender les ressorts de telles violences. Durée également sans considération pour le caractère littéralement exceptionnel de ce procès à venir. Rares sont en effet les hommes à pouvoir être jugés pour ce type de violences face à une partie civile toujours vivante.

Enfin et surtout, nous nous inquiétons à l’unisson de Mme R. de la fin éventuelle de la mesure de placement sous assignation à résidence avec surveillance électronique de RS, mesure ordonnée par le juge des libertés et de la détention du TGI de Marseille le 21 juin 2011. Conformément aux dispositions de l’article 138-1 du Code de procédure pénale, cette mesure est prise pour une durée de six mois renouvelables dans la limite maximale de deux ans. Elle a donc en principe pris fin le 21 juin 2013.

Mme R a elle-même appelé le SPIP à plusieurs reprises pour savoir si cette mesure avait été prolongée du fait de l’ajournement du procès d’Assises, sans qu’elle n’ait pu obtenir la moindre réponse.

Elle vit depuis dans un état de stress et d’hyper vigilance permanents, générés par la terreur des représailles que son ex-mari pourrait exercer à son encontre à l’approche du procès, s’il était libre de ses mouvements. Elle craint en outre, le cas échéant, qu’il ne quitte le territoire français avant le procès. Compte tenu de la personnalité de RS, les risques décrits par Mme R. nous paraissent parfaitement objectifs.

Il est donc urgent que l’institution judiciaire garantisse la sécurité de Mme R d’ici (et après) le procès, et qu’elle l’informe des dispositions prises à cet effet.

Nous vous prions d’agréer, Madame la ministre, l’expression de notre parfaite considération,

Marilyn Baldeck
Déléguée générale

Copie :
Mme Najat Vallaud Belkacem, ministre des droits des femmes


PS : Suite à cette lettre, le parquet général a saisi la chambre de l’instruction pour demander la mise en place de nouvelles mesures de contrôle judiciaire, qui ont été obtenues.


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