Armée et violences sexuelles

Une enquête sur les violences sexuelles commises dans (et par) l’armée française paraît aujourd’hui : La guerre invisible, révélations sur les violences sexuelles dans l’armée française, Leila Minano, Julia Pascual, éditions les Arènes-Causette.

Cette enquête fait écho à l’histoire de Léa…

Léa, 21 ans, arrête un BTS de comptabilité pour rentrer dans l’armée. C’est notamment un moyen pour elle de partir de chez ses parents. En janvier 2013, à 26 ans, elle quitte l’armée au terme de son contrat de cinq ans. Elle postule alors à l’AVFT comme secrétaire. Elle dit qu’elle s’adresse à l’AVFT parce que, par ailleurs, les violences sexuelles dans le travail, elle voit à peu près de quoi il s’agit. L’AVFT ne recrute pas de secrétaire, mais nous lui proposons un rendez-vous parce que son témoignage nous intrigue. Elle nous fait alors partager le cauchemar qu’elle a traversé – les viols commis par un gradé – et l’immense difficulté, encore aujourd’hui, à vivre normalement : arrêts de maladie, dépression, alcool, hospitalisations psychiatriques, désocialisation. Depuis, elle nous adresse des textes qui sont autant de cris pour dénoncer ce qu’elle a subi, mais aussi ce dont elle a été témoin. Elle nous autorise à publier le message qu’elle nous a envoyé il y a trois jours(1) :

« Ecouter mon vide. Encore un travail d’engagée, un gradé qui voulait profiter, baiser avec sa subordonnée, comme au supermarché, choisir son objet, passer en caisse mais sans payer. Mon corps, sportive anorexique, mon cerveau, une machine à me faire vomir. Ma mémoire de pute à l’armée. De femme secrétaire militaire. Mon dégoût. Rien de tabou pour les militaires, la routine presque, en d’autres mots, la Tradition.

Secret. Les choses tournent en rond dans ma tête mais ne ressortent jamais de mes nuits. Sans la surface, sans l’écoute, le noir en évidence, esquiver les conséquences des pourquoi. Ecouter monter mon vide. Mes éléments du passé lancent des flèches comme les poubelles qui tombent à la hâte, pourquoi les militaires profitent de leurs camarades femmes, si possible jeunes en services avec la peur au ventre d’être punies. Quelque chose hors de mon temps, puis se relèvent sans effort des images figées, semaines oubliées mais, pas la moindre idée, toujours la même peur, la même image, la tête de l’adjudant en train de me violer en me souriant dans sa chambre à la caserne.

Les choses restent sacrifiées au corps, le vide et encore le vide. Elles s’éloignent sans arrêt, la nuit grimpe autour du corps un treillis au goût immonde. Un vide où le secret ravive les poubelles dans mes yeux, l’odeur et le dégoût, mes années et les trous noirs. Mes bouteilles et ces gens qui ne sont pas des hommes. Ecouter passer le vide ; transparence inutile, pour moi un miracle mais peut-être une époque aussi inhumaine qu’obscure où les objets sont parfois plus humains que les humains eux mêmes ?

Le monde du travail que je déteste depuis, ma mémoire que je déteste et les yeux des hommes sur mon cul, la peur des hommes, le dégoût de croiser des militaires en patrouille à la gare. Le monde du travail que je n’aime que pour ses apparences fallacieuses assumant peu ses paradoxes, dans la société civile comme dans la fonction publique.

Ces inégalités homme-femme, ces dernières qui perdurent au travail que cela soit moralement et ou physiquement. Cette banalisation conjuguant à l’indifférence une sorte de violence invisible avec un silence forcé voire une honte intime, avec pourtant à la base un seul et unique, une carrière prometteuse dans une Institution tombée aux oubliettes. Puis, ces centaines de femmes militaires aussi silencieuses que courageuses souvent violées par leur supérieur et qui n’ont pas le choix d’arrêter leur travail à cause de la crise économique.

Puis les mortes oubliées et puis les mortes vivantes qui n’oublient pas qu’elles sont encore vivantes comme moi. Ils sont presque transparents ces corps, quand le travail détruit la vie. Reste la survie. Ecouter monter mon vide, remonter à la source l’armée : la pire des familles pour les femmes. Bonne semaine l’AVFT (…) ».

Notes

1. Ce sont des pages et des pages qu’elle nous a envoyées, qui mériteraient une publication…

Print Friendly, PDF & Email
Cliquez pour partager sur Facebook (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Twitter (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Whatsapp (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager par email (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour obtenir un PDF de cette page prêt à imprimer ou à partager par email