Lettre au directeur d’un EHPAD au sujet de l’utilisation de la pornographie comme méthode thérapeutique

Dans le contexte dans lequel dénoncer la présence d’une fresque pornographique au sein de l’hôpital provoque l’ire d’une partie du monde médical et les habituelles attaques antiféministes de ceux dont on touche aux privilèges, nous avons souhaité publié les documents suivants :

Une lettre de l’AVFT datée du 25 novembre 2014 au directeur d’un hôpital au sujet de l’utilisation d’un film pornographique à des fins prétendument thérapeutiques. L’AVFT avait été alertée par les élus CGT de l’hôpital, eux-mêmes aiguillés vers nous par l’inspection du travail.

Une lettre de l’AVFT à Marisol Touraine, ministre de la Santé, des affaires sociales et des droits des femmes, du 9 décembre.

La réponse du ministère du 12 janvier, également adressée à la CGT, qui nous a écrit suite à cela : « Le personnel va enfin pouvoir se reconstruire et panser ses blessures« .

Ces deux lettres sont téléchargeables en pied de page.

Vous pouvez aussi (re)lire : Pornographie : patrimoine culturel hospitalier ?, publié il y a trois ans.

***

Paris, le 25 novembre 2014

Monsieur le directeur,

L’AVFT – Association européenne contre les Violences faites aux Femmes au Travail – agit depuis près de trente ans contre les violences sexistes et sexuelles au travail.

Soutenue financièrement par l’Etat, elle intervient auprès d’environ 300 personnes par an, presque toutes des femmes, dans les procédures disciplinaires ou judiciaires visant à faire valoir leurs droits.

Organisme de formation, elle répond aux demandes d’outillage des professionnels concernés (avocat.es, inspection du travail, médecine du travail, organisations syndicales) ainsi que des employeurs, privés comme publics, qui souhaitent mettre en ?uvre leur obligation légale de prévention du harcèlement sexuel.

L’AVFT dispose du statut consultatif spécial auprès du Conseil Economique et Social de l’ONU, est notamment membre du comité d’entente « égalité femmes/hommes » du Défenseur Des Droits, intervient au sein de la commission « violences » du Haut Conseil à l’Egalité entre les Femmes et les Hommes, placé auprès du Premier Ministre.

L’association a été interpellée au sujet du projet de diffusion d’un film pornographique à l’attention d’un résident de l’EHPAD de XXX, placé sous votre autorité. Compte tenu de la gravité des faits qui ont été portés à notre connaissance, nous avons souhaité réagir.

Nous avons donc été informées que début septembre, la cadre de santé de cet établissement a fait savoir au personnel soignant qu’un des résidents lui avait dit «vouloir une salope». Il semblerait que cela ait surpris les membres du personnel, dans la mesure où ce patient, qui présente certes un certain nombre de troubles, n’avait jamais utilisé une telle expression ni communiqué sur un registre sexuel. Le 16 septembre, de concert avec la psychologue du service, qui aurait décelé un supposé « besoin sexuel » du résident, une « méthodologie » est présentée au personnel : choix d’un film pornographique, installation du résident, nu dans son lit, puis toilette après le visionnage. La cadre de santé aurait fait valoir l’interdiction, en France, du recours à des prostituées dans ce type d’établissement, raison pour laquelle le personnel soignant devrait s’y substituer. Interloqué et pris au dépourvu face à une telle initiative de la cadre de santé, le personnel de nuit a prétexté un risque de perturbation du résident qui dort habituellement très bien, pour ne pas s’y soumettre.

Pendant un temps, il n’a plus été question de cette « expérimentation », de sorte que certaines aides-soignantes ont pensé qu’il s’agissait d’une plaisanterie de mauvais goût.

Mais elle est remise à l’ordre du jour le 15 octobre, et deux ASH ont été mobilisées pour cela. En conséquence, certains agents ont saisi les représentants CGT, pour dire leur indignation et leur inquiétude, suite à quoi vous avez été alerté par le secrétaire du CHSCT, Monsieur XXX.

Il semblerait qu’il en soit résulté l’abandon de ce « projet ».

Le 10 novembre, la cadre de santé qui en avait été à l’initiative a convoqué l’ensemble du personnel de l’EHPAD, sans qu’un ordre du jour n’ait été annoncé. Elle a lu un « communiqué », en ayant préalablement annoncé qu’il ne serait pas suivi d’échanges. Elle a en substance indiqué que le personnel était tenu au secret professionnel (une forme de reproche adressé à celles et ceux qui ont dénoncé son « projet » ?) et a défendu son choix de projeter des films pornographiques aux résidents – arguant de la consultation d’un professionnel (de l’industrie pornographique ?) pour le choix du DVD. Elle a osé comparer la projection d’un film pornographique à l’introduction de « bières » ou de « cigarettes » dans le service, qui n’aurait selon elle posé aucun problème, appelant à une évolution des mentalités sur des projets novateurs.

Il semblerait que vous ayez pris la défense de la cadre de santé.

Nous sommes consternées qu’un tel « projet » ait pu voir le jour dans un EHPAD, qui expose le personnel soignant – des femmes dans une très forte proportion – à des atteintes à leur intégrité psychologique, voire physique, et à leur dignité.

Est-il tout d’abord besoin de dire que répondre favorablement à un résident exprimant «vouloir une salope» constitue une injure à l’encontre des femmes dans leur ensemble ? Qu’y répondre en lui permettant d’accéder à un film pornographique par l’entremise d’un personnel soignant largement féminisé, revient à les assimiler aux « salopes » exigées par lui ?

De notre point de vue, l’EHPAD pourrait voir sa responsabilité engagée, en ce qu’il exposerait son personnel à des agissements qui pourraient être qualifiés de harcèlement sexuel. L’article 222-33 du Code pénal dispose en effet :

«Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante».

Le prétendu « consentement » de certaines ASH, dont nous ne doutons pas qu’il pourrait être allégué, ne serait par ailleurs pas recevable. La mise en ?uvre d’un tel « projet » aurait pour conséquence la mise en danger de tous (et surtout toutes) les ASH, y compris ceux (et surtout celles) qui s’y seraient le plus fermement opposé, car les résidents deviendraient légitimes à exiger d’eux (et surtout d’elles) qu’elles concourent à la réalisation de leurs « demandes sexuelles ». Un tel consentement devrait en tout état de cause être grandement relativisé compte tenu du lien de subordination hiérarchique des ASH à la cadre de santé.

Par ailleurs, la pornographie reproduit, normalise et fait le lit des violences sexuelles les plus extrêmes commises à l’encontre des femmes, puisqu’elle n’est fondée que sur la jouissance dans leur avilissement. L’un des archétypes pornographiques majeurs est le viol de femmes supposées en avoir le désir. Y recourir, c’est aussi faire le jeu d’une industrie mondialisée dont les liens avec le crime organisé ne sont plus à démontrer, qui fait d’êtres humains réels, des femmes en particulier, une marchandise. Et il n’existe pas de pornographie « acceptable », de « pornographie thérapeutique » : dès lors que la pornographie fait des femmes des choses, elles peuvent être traitées comme telles.

Pornographie et prostitution étant les versants d’une même réalité d’assujettissement sexuel des femmes, recourir à des prostituées, autrement nommées « assistantes sexuelles », sous couvert de protection des agent.es, ne serait pas davantage acceptable.

Enfin, toutes les enquêtes de victimation montrent que le secteur médico-social est celui dans lequel les femmes ont le plus de risque d’être victimes de violences sexuelles. Introduire de la pornographie sur le lieu du travail n’est pour le moins pas de nature à enrayer cette réalité.

Nous vous prions d’agréer, Monsieur le directeur, l’expression de nos salutations féministes,

Marilyn Baldeck
Déléguée générale

Copie : CGT

Lettre de l’AVFT à Marisol Touraine et réponse du ministère

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