Pour ne plus entendre « je ne peux pas attester, je n’y étais pas » : de l’importance des témoignages indirects

Lister les éléments de preuve, réfléchir aux indices qui pourraient être recueillis, et la meilleure manière d’y parvenir, est souvent une étape-clé du travail que nous faisons pour, et en réalité avec les victimes qui saisissent l’association. Ce recensement est même généralement réalisé dès le premier entretien téléphonique que nous avons avec elles. Il fait depuis peu l’objet d’un item dans le canevas que nous renseignons lors de chaque premier appel. Cet inventaire est l’occasion de faire de la pédagogie sur la preuve auprès des principales intéressées et de combattre l’idée qu’en matière de violences sexuelles, ce serait « parole contre parole ». Il permet aussi de donner une « feuille de route » aux victimes, une méthode, pour avancer dans leurs démarches.

Parmi ces indices à collecter se trouvent bien entendu les témoignages. En la matière, les témoins directs des violences ne sont pas légion, et il faut donc élargir le cercle des témoins et solliciter celles et ceux qui ont recueilli le récit, ont été mis dans la confidence et qui, bien souvent, ont pu directement constater l’état émotionnel de la victime. 

On compte parmi ceux-ci les professionnel‧les chargé‧es du recueil de la parole des victimes et de les informer sur leurs droits, en particulier juristes dans des associations. Mais nous constatons trop souvent une résistance à la délivrance de telles attestations ou, quand les victimes les obtiennent, elles peuvent être beaucoup trop lacunaires, limitées à une ou des dates de rendez-vous. Au fondement de cette résistance, se loge l’idée qu’on ne pourrait attester que lorsque l’on a été personnellement témoin des violences. Cette idée reçue, utile aux agresseurs et propagée par leurs avocats, doit disparaître !

1.  Si, les attestations des personnes n’ayant pas été directement témoins des violences sont utiles, et même parfois déterminantes !

De nombreuses personnes et, plus fâcheux, un certain nombre (un nombre certain) de professionnel‧le‧s, pensent ou préfèrent penser qu’ils‧elles ne peuvent attester « puisqu’ils‧elles n’y étaient pas » et « n’ont rien vu ». Il nous faut donc de nouveau rappeler que la preuve des violences sexuelles dans une procédure judiciaire repose sur un « faisceau d’indices » à défaut de preuve directe et péremptoire.

L’obtention d’attestations est donc très importante pour venir corroborer le récit de la victime car elles permettent de démontrer la cohérence de son récit et de ses démarches, quand la plupart des violences ont lieu sans témoin direct.

Les juges retiennent ces témoignages indirects dans le faisceau d’indices concordants :

« Bien qu’indirects ces témoignages corroborent de façon précise et circonstanciée les affirmations contenues dans le récit précité de Madame D, étant observé que des comportements tels que ceux décrits par l’intéressé se manifestent rarement de façon ostensible et en présence de tiers mais s’expriment au contraire plus volontiers à la faveur de situation d’isolement qui en sont le terreau et le fruit. »

CA Douai, Mme D et l’AVFT c/E. 29 mars 2013

Par ailleurs,

« le juge doit examiner les attestations produites par la victime, et ce même si celles-ci n’émanent que de personnes étrangères à l’activité professionnelle »

Cass. soc., 10 mai 2012, no 10-28.34

Attester quand vous le pouvez pour une victime de violence sexuelle c’est aussi lutter à votre échelle contre ces violences. Le faire dans un cadre professionnel (celui d’une association par exemple) est particulièrement précieux car l’attestation permet alors de retracer les démarches de la salariée pour faire valoir ses droits, de dater une première démarche, parfois très antérieure à une saisine officielle de l’employeur ou un dépôt de plainte.

2. Qui peut attester ?

En plus des éventuels témoins directs des violences, toute personne, collègue de travail ou appartenant au cercle amical et familial de la victime, tout‧e professionnel‧le ayant eu à recueillir son récit et/ou ayant personnellement constaté un changement de comportement, d’humeur, d’apparence physique, une tristesse, des émotions, la peur, le stress, des larmes…

Les médecins et soignant‧es sont bien sûr concerné‧es (sous la forme de certificats médicaux pour les médecins), mais les règles particulières qui régissent leurs écrits ne sont pas traitées ici. 

3. Quel formalisme ?

Vous pouvez utiliser le CERFA « attestation de témoin » :

Attestation2
Cliquer sur l’image pour télécharger le CERFA

Si vous manquez de place dans ce document, ne vous limitez pas…. rajoutez un (ou plusieurs !) feuillets.

Vous pouvez écrire votre attestation sur papier libre à condition de respecter la trame du CERFA et notamment les renseignements d’état civil vous concernant :

Attestation

Si vous êtes salarié‧e d’une association ou de toute autre structure, vous pouvez inscrire l’adresse de votre lieu de travail au lieu de votre adresse personnelle.

Si une attestation doit en principe être manuscrite, il est néanmoins possible de l’écrire sur ordinateur à condition d’y ajouter à la main la mention obligatoire relative aux déclarations mensongères (voir plus bas).

Si votre écriture est difficilement lisible, vous pouvez annexer une version « tapuscrite » à votre attestation manuscrite, ce qui sera très utile à tout le monde : la victime, son avocat‧e, les juges débordés qui auront à les lire (et nous) ! Vous devez remettre une copie d’une pièce d’identité en même temps que l’attestation.

4. Quel contenu ? 

Vous pouvez retranscrire le contenu des conversations, des rendez-vous, en tâchant d’être le plus précis possible sur la chronologie, les périodes si ce ne sont les dates auxquelles ces échanges ont eu lieu. L’idéal étant de pouvoir se baser sur des notes prises immédiatement, ce qui n’arrive pas souvent quand le récit n’a pas été reçu dans un cadre professionnel.
Déformation professionnelle oblige, certaines d’entre nous, à l’AVFT, prenons des notes lorsque quand nous recevons des confidences d’une victime même hors cadre professionnel, au cas où elle aurait ultérieurement besoin de notre témoignage !

La précision est de mise également sur les circonstances dans lesquelles les échanges ont eu lieu et sur les propos tenus.

Une attestation dans laquelle on peut lire :

« Mme X m’a parlé des gestes déplacés de son supérieur hiérarchique. J’ai constaté qu’elle allait mal« , pourra toujours être produite dans une procédure judiciaire ou interne à l’entreprise/l’administration, mais elle sera beaucoup moins pertinente qu’une attestation dans laquelle on peut lire :

« Mme X m’a dit que son supérieur hiérarchique lui caressait le dos dans l’ascenseur, lui faisait des bises trop rapprochées de la bouche et lui avait une fois effleuré la poitrine. Elle avait les larmes aux yeux lors de ce rendez-vous et me disait ne pas se reconnaître en ce moment, elle qui était d’ordinaire si enjouée et sociable, qu’elle n’arrivait plus à dormir… « .

Si la victime est une personne que vous connaissez bien, vous êtes légitime à écrire que vous ne l’aviez jamais vue dans un tel état, que son comportement vous a inquiété‧e, que vous aviez remarqué depuis un certain temps que quelque chose n’allait pas et que les confidences reçues éclairent son changement d’attitude etc.

Si vous êtes un‧e collègue de travail, même si vous n’avez rien vu des violences elles-mêmes, vous pouvez attester avoir remarqué que votre collègue ne venait plus déjeuner avec l’équipe au restaurant d’entreprise, qu’elle ne partageait plus les pauses cafés, qu’elle arrivait en retard, qu’elle ne s’habillait plus de la même façon etc.

Sachez-le : le Code du travail interdit toute mesure de rétorsion à votre encontre si vous attestez (article L. 1153-3 du Code du travail).

En résumé, une attestation efficace doit être :

  • La plus factuelle possible (vous rapportez ce que vous avez vu ou entendu, laissez votre ressentiment de côté le cas échéant) ;
  • Précise ;
  • Circonstanciée (le contexte dans lequel les propos vous ont été rapportés ou celui dans lequel vous avez constaté un changement chez la victime) ;
  • Chronologique le cas échéant;
  • Vous devez rapporter les propos de la victime : « Mme m’a dit que/ confié que/ relaté/exposé ce qui suit… » et ne pas écrire « Mme a été victime de », même si vous en êtes certain‧e !

La mention prévue dans le modèle d’attestation de témoins CERFA peut porter à confusion/vous décourager voire vous effrayer :

Attestation 3

Sachez cependant que l’exactitude matérielle des faits dont il est question est tout simplement relative aux propos que vous avez recueillis, et non pas aux violences en elles-mêmes dont vous n’avez pas été témoins. Si vous rapportez le récit/les propos le plus fidèlement possible, il s’agira bien de faits matériellement exacts et vous n’encourez aucun risque.

Et comme aucune disposition légale n’exige de reprendre cette mention telle quelle, si vous rédigez votre attestation en dehors du document CERFA, vous pouvez plutôt écrire : « Je sais qu’un témoignage mensonger m’expose à des sanctions civiles ou pénales« .

Dernière chose, à l’attention des victimes : vous ne pouvez pas demander à votre avocat‧e d’appeler les témoins pour tenter de les convaincre d’attester, c’est déontologiquement interdit !

A vos stylos et vos claviers !

Marilyn Baldeck et Vesna Nikolov

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