Dans un précédent billet (ici), nous vous donnions le cadre de l’établissement d’attestations, éléments importants du faisceau d’indices qui corrobore la parole des victimes.
Ce faisceau d’indices est utilement renforcé par des éléments d’ordre médical, et particulièrement par des certificats médicaux.
Pourquoi ? Parce qu’ils permettent d’établir la dégradation de l’état de santé de la victime, et peuvent constater un « tableau clinique » compatible avec les dires de la patiente. Ces certificats sont donc utiles à double titre : pour renforcer le « faisceau d’indices », mais également pour prouver les conséquences des violences.
Or, de la même façon qu’il arrive régulièrement aux victimes de rencontrer des résistances de la part de leurs collègues ou des structures qu’elles contactent pour leur faire des attestations, il arrive également que certain‧e‧s médecins soient réticent‧e‧s à établir des certificats médicaux, de peur d’engager leur responsabilité déontologique ou d’enfreindre le secret médical, mais aussi que certaines victimes n’osent pas les leur demander.
Pourtant, en suivant quelques recommandations simples, il est possible pour les médecins de rédiger des certificats médicaux sans craindre de commettre d’impairs.
Quel est le cadre légal de ces certificats ?
Il existe deux types de certificats médicaux qui peuvent être rédigés par des médecins : les certificats obligatoires (comme ceux sur la vaccination d’un enfant pour sa scolarisation par exemple).
Et les certificats qui ne reposent pas sur des textes légaux. Ceux qui sont établis à la demande d’un‧e patiente victime de violences sexistes et sexuelles font partie de cette seconde catégorie. Ils peuvent être versés dans des procédures prud’homales (contre l’employeur), administratives (contre une administration) ou pénales.
Le contenu d’un certificat médical.
Sur la forme, le Conseil de l’Ordre des médecins donne des étapes précises pour établir ce type d’écrit :
Sur le fond, la jurisprudence ordinale sur les certificats dits de « complaisance » est fournie. Elle permet d’avoir une idée assez précise de la façon dont les dires de la patiente doivent être rapportés par le médecin pour ne pas qu’il puisse se voir reprocher une faute déontologique. Ainsi :
« Généraliste a établi un certificat médical au profit de Mme B, alors salariée de la société ABC. Le document était rédigé ainsi : « Cette patiente présente ce jour un syndrome d’anxiété relativement important que la patiente rapporte à des conflits professionnels récents ». Le praticien a clairement distingué entre ses constatations médicales et les dires de la patiente. En rapportant ces dires, sans se les approprier, et en des termes qui ne sauraient d’aucune manière donner à penser qu’il reprenait à son compte le lien de causalité allégué par la patiente entre son état de santé et ses conflits professionnels, le Dr A ne saurait être regardé comme ayant rédigé un certificat de complaisance. »
CNOM, Chambre disciplinaire de première instance, 28 octobre 2020, décision n° 14105.
Mais aussi :
« Généraliste a établi un certificat médical en rapportant les dires de son patient sans se les approprier. Il pose un diagnostic d’« état anxio-dépressif avec insomnie (…) avec des épisodes de troubles anxieux généralisés », sur la base de ses constatations médicales. S’il ajoute que ces troubles sont « en relation et majorés par les épisodes successifs de harcèlement », sans rappeler que cette relation de cause à effet ne résulte que des dires du patient, il résulte de l’ensemble du document qu’il n’entendait pas la reprendre à son compte et ne faisait que rapporter également, sur ce point, des propos qui lui avaient été tenus. Le praticien n’a pas commis de faute en rédigeant ainsi ce document. »
CNOM, Chambre disciplinaire de première instance, 10 novembre 2020, décision n° 13830.
Ou encore :
« Si le courrier du 3 février 2016 attribue la dépression de la patiente à des problèmes professionnels, et que celui du 25 août indique que l’état dépressif serait favorisé par des problèmes relationnels en entreprise, le praticien, en rédigeant ces deux courriers a pris soin de ne pas préciser en quoi l’activité professionnelle présenterait un caractère pathogène et ne désigne aucun responsable. Il ne peut être retenu contre le praticien d’avoir rédigé des certificats de complaisance au sens de l’article R. 4127-28 du code de la santé publique ».
CNOM, chambre disciplinaire nationale, 10 février 2021, décision n° 13846.
Et :
« Le Dr C a établi le 31 janvier 2017 un certificat ainsi rédigé : « Je soussigné certifie que la jeune F L., s’est plainte d’attouchements vulvaires (avec le doigt) de la part de son père depuis plusieurs années, à ma consultation du 28 décembre 2016. Le présent certificat est établi à la demande de Mme K». Le praticien n’a mentionné aucune constatation médicale dans ce certificat alors que c’est la raison d’être de ce type de document. […]. Même si le Dr C s’est gardé de s’approprier les propos de l’enfant, la rédaction du certificat litigieux est constitutive d’un manquement manifeste aux obligations résultant des articles R. 4127-28 et R. 4127-51 du CSP. »
CNOM, chambre disciplinaire national, 10 novembre 2020, décision n° 14249.
Enfin :
« Le document était rédigé en ces termes : « Je soussigné, Dr A, docteur en médecine, certifie que les problèmes de couple de Mme M.B ont généré un stress important avec un retentissement sur son état psychologique ainsi que sur celui de ses enfants. Leur état de santé a donc nécessité une mise à distance médicale. Pour faire valoir ce que de droit ». S’il est constant que le Dr A, qui suivait régulièrement depuis plusieurs années Mme B et ses quatre enfants et avait reçu en consultation M. B, connaissait, par leurs propos, l’existence d’une situation conflictuelle, laquelle a au demeurant conduit les époux à entamer une procédure de divorce, il n’en demeure pas moins qu’il s’est approprié, sans être en mesure d’en apprécier la véracité, l’exposé de la situation familiale qui lui avait été fait pour établir l’attestation qu’il a remise à Mme B. Dans cette mesure, même s’il n’a pas, ainsi qu’il le soutient, attribué la responsabilité de la situation qu’il décrivait à M. B, il a méconnu les dispositions des articles R. 4127-28 et R. 4127-76 du CSP. »
CNOM, chambre disciplinaire nationale, 27 octobre 2020, décision n° 14076.
Que nous enseignent ces extraits de jurisprudence ordinale ?
- Que les dires de la patiente doivent être rapportés. Concrètement cela veut dire qu’ils doivent être cités : « Elle me dit qu’elle est victime de … »/ « Selon les dires de… » et non pas « elle est victime de … ». En effet, le médecin n’a pas été directement témoins des agissements décrits par sa patiente, mais uniquement du récit qu’elle lui en a fait.
- Que le lien de causalité doit être indiqué en rapport avec des constatations médicales établies au jour du certificat. Toujours pour la même raison, le médecin ne peut pas établir médicalement le fait que la symptomatologie de la patiente est liée au récit qu’elle a fait, mais il peut néanmoins affirmer qu’elle est cohérente ou compatible avec ce récit.
- Et donc que le médecin doit établir des constations médicales !
- Les modèles d’attestations à destination des médecins
Nous avons mis en ligne un modèle de certificat médical respectant les obligations déontologiques des médecins et en conformité avec la jurisprudence ordinale.
Le plan est le suivant :
- Description du tableau clinique constaté par le.la médecin lors de la consultation
- Propos rapportés de la patiente
- Recommandations du. de la praticien.ne
- Une phrase décrivant que le tableau clinique constaté est compatible avec la symptomatologie associée aux dires de la patiente
- Mentionner (si c’est le cas) qu’il n’existait pas d’état pathologique antérieur
- Il est également important de mentionner que le certificat a été fait à la demande de l’intéressée afin d’ exonérer le médecin d’une violation du secret médical (puisque c’est la patiente elle-même qui le demande)
Le Conseil de l’ordre des médecins à mis à disposition un modèle de certificat médical initial en cas de violences sur personne majeure, accompagné d’une notice explicative.
L’AVFT a également rédigé un modèle.
Maintenant que vous êtes bien informé.es, vous pouvez constater que les obstacles à l’établissement de ces certificats ne sont pas si insurmontables !
Vesna Nikolov