Non, Georges TRON ne doit pas ‘se débrouiller avec sa conscience‘. Il doit être révoqué de sa fonction de maire de Draveil.

Présomption d’innocence, procédure disciplinaire et révocation : l’AVFT fait (encore…) le point

Le 17 février 2021, la Cour d’assises d’appel de Paris a reconnu Georges TRON coupable de crimes de viols en réunion et de délits connexes d’agressions sexuelles en réunion. Elle l’a condamné à 5 ans d’emprisonnement dont deux ans assortis du sursis simple et a prononcé une peine d’inéligibilité de 6 ans.

L’AVFT a soutenu l’une des plaignantes pendant dix ans (voir notamment , et ) et était partie civile dans la procédure au cours de laquelle M. TRON a été condamné.

Le maire de Draveil, qui s’est pourvu en cassation, a annoncé, depuis sa cellule, qu’il se maintenait dans ses fonctions ; ni le préfet, ni le gouvernement de M. CASTEX, pas plus que le président de la République ne sont venus contredire cette décision, comme si elle n’appartenait qu’à Georges TRON.

Ce n’est évidemment pas le cas, comme l’ont rappelé Osez le féminisme ! et l’AVFT à Emmanuel MACRON, par lettre du 3 mars 2021 (voir là). Un article du Code général des collectivités territoriales dispose en effet :

« Le maire et les adjoints, après avoir été entendus ou invités à fournir des explications écrites sur les faits qui leur sont reprochés, peuvent être suspendus par arrêté ministériel motivé pour une durée qui n’excède pas un mois. Ils ne peuvent être révoqués que par décret motivé pris en conseil des ministres.

Le recours contentieux exercé contre l’arrêté de suspension ou le décret de révocation est dispensé du ministère d’avocat.

La révocation emporte de plein droit l’inéligibilité aux fonctions de maire et à celles d’adjoint pendant une durée d’un an à compter du décret de révocation à moins qu’il ne soit procédé auparavant au renouvellement général des conseils municipaux » (1).

« Se débrouiller avec sa conscience »

Le 17 mars 2021, Laurence ROSSIGNOL, sénatrice, demandait au gouvernement ce qu’il « attendait » pour révoquer Georges TRON pour privation de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions (« Ne pensez-vous pas que viol et agression sexuelle en réunion pourraient tout à fait être qualifiés de faits privant l’élu de l’autorité morale nécessaire pour exercer ces fonctions ? »).

M. DUPOND-MORETTI, Garde des sceaux (et, fait notable, ancien avocat de Georges TRON) a répondu à la sénatrice :

« Madame la sénatrice, vous qui êtes respectueuse, je le suppose, de la présomption d’innocence , il me semble que ce justiciable a formé un pourvoi en cassation ; que la décision, dès lors, n’est pas définitive et qu’il se débrouille avec sa conscience. Vous demandez à l’exécutif d’intervenir là-dedans ? Mais franchement, quelle hérésie ! ».

La réponse apportée par le gouvernement de M. CASTEX est non seulement en total décalage par rapport aux attentes sociales d’exemplarité, notamment en matière de violences sexuelles, qui se sont fortement exprimées depuis plusieurs années, mais en plus juridiquement infondée : le principe de présomption d’innocence, qui ne trouve à s’appliquer qu’en matière de procédure pénale, se voit donc – encore une fois, et au plus haut sommet de l’Etat – dévoyé et instrumentalisé au bénéfice d’un homme dont les agissements sont foncièrement incompatibles avec les fonctions qu’il continue d’exercer.

Un principe de présomption d’innocence qui doit être réservé à la procédure pénale

En réalité, la révocation d’un maire condamné en appel pour viol et qui s’est pourvu en cassation n’a rien d’hérétique et ne contrevient aucunement au respect du principe de présomption d’innocence ; cela s’explique par un principe très simple : l’indépendance des procédures disciplinaire et pénale.

Le droit et la jurisprudence administratifs posent en effet une stricte étanchéité entre ces procédures : la loi du 13 juillet 1983 dite Le Pors prévoit que tout agent qui commet une faute (2) dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions s’expose à une sanction disciplinaire de son administration, et ce « sans préjudice, le cas échéant, des peines prévues par la loi pénale » (3)

Une administration peut ainsi prendre une sanction disciplinaire contre un agent poursuivi pénalement, avant même qu’une juridiction pénale ne se soit prononcée sur sa culpabilité ; aucune disposition législative ni aucun principe général de droit ne lui interdisent alors d’user de son pouvoir disciplinaire (4).

Or, ces mêmes règles s’appliquent pour un maire, agent statutaire de l’Etat (5). Et, particulièrement, la procédure de révocation prévue à l’article L. 2122-16 CGCT qu’il est demandé au gouvernement d’appliquer s’agissant de Georges TRON est « indépendante de la procédure pénale », comme l’a récemment rappelé le Conseil d’Etat (6).

Il résulte de cette indépendance que la révocation d’un maire, poursuivi pénalement pour les faits même qui ont fondé la sanction disciplinaire prononcée par l’autorité administrative, ne porte pas atteinte à la présomption d’innocence dont il doit bénéficier (7).

La mise en œuvre de la procédure prévue par l’article L. 2122-16 CGCT contre Georges TRON ne méconnaîtrait donc pas le principe de présomption d’innocence ; et le pourvoi en cassation exercé par le maire de Draveil n’a aucune incidence sur la faculté du président de la République et du gouvernement de M. CASTEX à engager une procédure de révocation à son égard.

Précisément, le Conseil d’Etat a en effet déjà statué sur les conséquences d’un pourvoi en cassation sur la décision de l’autorité administrative de révoquer un maire, condamné par une cour d’appel à une peine de 23 mois d’emprisonnement avec sursis pour attentat à la pudeur sur mineures de moins de 15 ans :

« L’arrêt (…) condamnant M. X. (…), bien qu’il ait fait l’objet d’un pourvoi en cassation a l’autorité de la chose jugée ; qu’il pouvait dès lors légalement servir de fondement à la mesure de révocation prononcée le 6 mars 1986 à l’égard de M. X…, lequel ne saurait utilement se prévaloir, dans ces conditions, de ce que cette mesure méconnaîtrait le principe de la présomption d’innocence dont doivent bénéficier les prévenus » (8).

Par ailleurs, le Conseil d’Etat a-t-il jugé légale la révocation d’un maire alors que des poursuites pénales n’avaient pas été engagées (9), qu’une information judiciaire était toujours en cours (10) ou encore lorsque le mis en cause s’était pourvu en cassation (11).

La révocation de Georges TRON de son mandat de maire, en application de l’article L. 2122-16 CGCT est donc tout à fait légale, et même nécessaire, compte tenu de la gravité des infractions qui lui sont reprochées.

Le respect de la présomption d’innocence ne pouvant donc être valablement invoqué pour s’abstenir de prendre un décret de révocation d’un maire, nous ne pouvons que nous interroger sur les réelles motivations du refus du gouvernement de M. CASTEX de mettre en œuvre la procédure de révocation de Georges TRON de ses fonctions de maire de Draveil.

La privation de l’autorité morale nécessaire à l’exercice des fonctions de maire est en revanche un motif légal de révocation.

Il paraît évidemment superficiel de faire la démonstration de cette privation concernant Georges TRON, condamné par la Cour d’assises d’appel de Paris pour des crimes et délits sexuels, commis à l’occasion de ses fonctions de maire de Draveil, et qui s’est pourvu en cassation, alors même que certains des motifs ayant justifiés des révocations d’édiles par le passé sont infiniment moins graves, ou devraient être considérés comme tels.

Le Conseil d’État a en effet pu retenir que les faits suivants étaient assez graves pour justifier de la révocation d’un maire : des propos outranciers prononcés lors d’une cérémonie commémorative du 11 novembre 1918 en présence du représentent du gouvernement et de membres d’associations d’anciens combattants (12), la dégradation importante de la situation financière de la commune sans qu’aucune mesure significative pour remédier à son endettement ne soit prise (13), des faits d’aide au séjour irrégulier des étrangers, d’usage de faux et de corruption (14), des faits de faux, usage de faux et escroquerie (15), ou encore des faits de prise illégale d’intérêts et complicité de faux et usage de faux en écriture, de détournement de fonds publics et d’irrégularités manifestes dans la gestion de la commune assorties de délits de favoritisme dans la passation de marchés (16).

En matière de violences sexuelles, les faits d’attentat à la pudeur sur mineures de moins de 15 ans ont évidemment privé le maire de l’autorité morale nécessaire à l’exercice de ses fonctions, bien qu’il se soit pourvu en cassation (17), et alors même que ces violences n’ont pas été commises dans le cadre du mandat de l’intéressé, contrairement à Georges TRON.

Comment croire que le maire de Draveil dispose encore de cette autorité morale nécessaire, alors même que les deux cours d’assises ayant eu à connaître des violences sexuelles dénoncées par deux agentes de la mairie ont retenu l’existence d’actes sexuels commis par Georges TRON ?

En réalité, M. TRON aurait dû être révoqué depuis plusieurs années déjà.

La première Cour d’assises l’a en effet acquitté, mais a retenu que lui et sa co-accusée « avaient bien participé à des ébats sexuels en présence de tiers et que les faits dénoncés par E. L. et V. E. s’étaient inscrits dans un climat général hypersexualisé entre Georges TRON et plusieurs de ses collaboratrices » et qu’ « un tel contexte a conduit à estimer avérées les scènes à caractère sexuel dénoncées par les plaignantes » (18).

L’autre l’a reconnu coupable de crimes de viols en réunion et délits connexe d’agressions sexuelles en réunion, et condamné à une peine de prison ferme ainsi qu’à une peine d’inéligibilité de 6 ans « au regard du statut d’élu de la République de Georges TRON lors de la commission des faits » (19).

« la qualité d’élu de l’accusé et la description de faits commis dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, dans les lieux de cet exercice, affectent les valeurs sociales et morales qu’un élu doit représenter ».

Au surplus, le maire de Draveil a récemment fait une demande de mise en liberté, rejetée par la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris (20), qui a jugé notamment que la détention provisoire demeurait, en l’état, l’unique moyen, non seulement d’empêcher une pression sur les témoins et les victimes…

« le pourvoi en cassation peut aboutir soit à l’exécution de la peine prononcée, soit au renvoi de l’affaire devant une autre juridiction de jugement au cours de laquelle les faits devraient être à nouveau débattus suivant les règles applicables en cour d’assises, juridiction composée d’un jury populaire, où prévaut l’oralité. Cette pression sur les parties civiles, qui peuvent déjà se voir renvoyer une responsabilité culpabilisante quant à l’incarcération du requérant, doit être prise en compte et il importe de les protéger de toute majoration de risque à cet égard. Or, l’arrêt de cette chambre du 15 décembre 2014 qui emporte saisine de la cour d’assises comprend le rappel d’éléments portant sur des pressions envers des témoins, certes essentiellement avant ouverture d’information, mais il est constant que l’affaire a connu sur plusieurs années plusieurs rebondissements et issues variables, dans un contexte laissant la place au dénigrement des plaignantes dont le traumatisme a été évalué par voies d’expertises et constaté à distance des faits. La procédure atteint son stade ultime. Pour autant, Georges Tron, persiste à dénier toute réalité aux faits poursuivis, toutes fiabilités des déclarations des parties civiles, ne fait montre d’aucune remise en cause alors que nombre de témoignages extérieurs à ceux des plaignantes ont décrit des comportements fréquents sexualisés de sa part envers de nombreuses femmes. Cette nécessité d’assurer la protection des témoins et victimes conserve donc une acuité réelle.»

… mais en plus le seul moyen de faire cesser le trouble exceptionnel et persistant à l’ordre public provoqué par la gravité de l’infraction, les circonstances de sa commission, ou l’importance du préjudice qu’elle a causé :

« en dépit de l’ancienneté des faits, le traumatisme subi par les victimes a été décrit par voie d’expertises, qui ont signalé que les faits ont donné lieu à des épisodes dépressifs sévères, généré des dommages durables, dont la persistance actuelle ne peut qu’être entretenue et ravivée par la durée exceptionnelle de cette procédure et la persistance de négation de toute responsabilité de la part de Georges Tron. Il s’agit de faits graves à raison de la peine encourue, de la peine significative prononcée le 17 février 2021 emportant une incarcération, et des circonstances de leur commission. En effet, le contexte des faits est décrit comme marqué d’abus d’autorité de la part de l’accusé, d’une forme de manifestation de toute puissance de sa part, au regard de ses fonctions, responsabilités et pouvoirs envers ses collaborateurs, subalternes, et ayant fait employer les deux plaignantes par la mairie de Draveil. Les valeurs sociales protégées par ces infractions sont essentielles s’agissant d’atteintes à l’intégrité physique, de violation de l’intimité, de mise en cause de la dignité de femmes. En outre, la qualité d’élu de l’accusé et la description de faits commis dans le cadre ou à l’occasion de l’exercice de ses fonctions, dans les lieux de cet exercice, affectent les valeurs sociales et morales qu’un élu doit représenter. »

Enfin, la Cour d’appel de Paris contextualise sa décision :

« la réflexion actuelle sur ces problématiques d’atteintes sexuelles anime l’émoi populaire et sociétal qu’elles génèrent. Si les décisions judiciaires ne doivent être guidées ni par l’opinion publique, ni par le seul retentissement médiatique des faits, elles ne peuvent ignorer ni les valeurs sociales attachées aux infractions poursuivies, ni la contextualisation du sens des décisions judiciaires rendues et en cause ».

En d’autres termes, les agissements reprochés à Georges TRON troublent plus que jamais l’ordre public.

L’exécutif ne manque donc pas de fondement juridique pour engager la procédure disciplinaire prévue par l’article L. 2122-16 CGCT, mais bien de volonté pour lutter contre les violences faites aux femmes. Ne pas faire application de l’article L.2122-16 CGCT à l’égard de George TRON revient à alimenter sciemment son sentiment d’impunité, affiché publiquement lors des derniers conseils municipaux de Draveil, au cours desquels il a fait lire les lettres qu’il rédige depuis la prison de la Santé, où il est incarcéré depuis près de trois mois.

Pour l’AVFT, Mathilde Valaize et Marilyn Baldeck.


Print Friendly, PDF & Email

Notes

Notes
1Article L. 2122-16 CGCT
2Faute, au sens du droit administratif : manquement à ses obligations professionnelle ou infraction de droit commun
3Article 29 de la loi n°83-634 du 13 juillet 1983
4CE, 27 janvier 1993, n°15274
5Par exemple : CE, 7 novembre 2012, n°348771
6, 16CE, 19 décembre 2019, n°434071
7Par exemple : CE, 26 février 2014, n°373015
8, 11, 17CE, 12 juin 1987, n°78114
9, 12CE, 27 février 1981, n°14361 12112
10CE, 26 février 2014, n°37301
13CE, 2 mars 2010, n°3288843
14CE, 7 novembre 2012, n°348771
15CE, 26 février 2014, n°373015
18Cour d’assises de la Seine-Saint-Denis, 15 novembre 2018
19Cour d’assises d’appel de Paris, 17 février 2021
20CA Paris, 24 mars 2021
Cliquez pour partager sur Facebook (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Twitter (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager sur Whatsapp (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour partager par email (ouvre dans une nouvelle fenêtre) Cliquez pour obtenir un PDF de cette page prêt à imprimer ou à partager par email