Cour d’assises !

Nous avons appris avec une intense satisfaction et une très vive émotion la mise en accusation de M.P devant la Cour d’assises pour viols, suite à la plainte de Mme C. auprès de qui l’AVFT intervient depuis plus de deux ans maintenant.

Cette décision fait suite à un classement sans suite et à l’appel d’une ordonnance de non-lieu par la victime. La chambre de l’instruction, contre les réquisitions de l’avocat général, a infirmé l’ordonnance de non-lieu, en considérant que « la grande différence d’âge existant entre eux, leur différence de personnalité et d’expérience de vie, une situation pouvant faire apparaître Mme C sous la dépendance économique et professionnelle de M. P, le tout pouvant générer une totale emprise psychologique exercée sur Mme C, qui serait alors soumise à une contrainte morale très forte, puisque étant placée dans une situation de fragilité et de faiblesse face à M. P., il apparaît que suffisamment de charges peuvent être réunies qui priveraient les relations sexuelles matériellement établies, ayant existé entre Mme C et M. P, du réel et libre consentement de la jeune femme, et qui permettent donc de recevoir la qualification criminelle de viols« .

Mme C, qui a déposé plainte il y a cinq ans, en a pleuré de soulagement : sa plainte ne se terminera pas dans le silence et le huis clos de la chambre de l’instruction. Elle sera entendue par la justice, et M.P. devra s’expliquer en public sur les viols qu’il a commis.
Ce renvoi devant la Cour d’assises, outre qu’il n’est que justice, récompense l’exceptionnelle ténacité de la jeune femme, qui se bat depuis l’âge de 19 ans.
C?est également le fruit d’un important travail de l’AVFT et de Me Ovodia, l’avocat de Mme C.

L’émotion suscitée par cette décision est liée au fait que les viols commis sans violence physique ou menace d’une arme, mais dans une situation de contrainte psychologique ou économique sont rarement pris en compte par la justice.

Mais elle n’est que l’aboutissement normal d’une instruction pour crime pour laquelle il existe des éléments. En théorie, dès lors qu’il existe des charges suffisantes contre le mis en examen pour des faits de viols, il est alors « mis en accusation devant la Cour d’assises ».

Pourtant, depuis 1985, ce n’est que la cinquième fois qu’une procédure pour viols aboutit à une mise en accusation devant une Cour d’assises, dans les dossiers suivis par l’AVFT.
L’AVFT accompagne des victimes de violences sexuelles au travail depuis 24 ans et environ 20% de ces personnes nous saisissent pour des viols.

Que deviennent alors toutes les autres plaintes pour viols (sans compter toutes celles qui sont classées sans suite ou qui se terminent sur un non-lieu) ?

Elles sont massivement « déqualifiées »: elles vont le plus souvent donner lieu à un renvoi devant le tribunal correctionnel pour agressions sexuelles, parfois même pour harcèlement sexuel.

Ce dossier est donc une exception dans une politique de correctionnalisation massive des viols en France.

Les raisons de cette politique sont diverses.

Le budget requis pour la mise en place d’une Cour d’assises est bien supérieur à celui d’un procès correctionnel : les jurés doivent être dédommagés, les juges siégent pendant plusieurs jours, voire plusieurs semaines.

Mais la raison principale tient surtout dans la spécificité des violences sexuelles; nous n’avons jamais entendu parler de politique de correctionnalisation des meurtres.

En France, la moitié des condamnations aux assises concerne déjà des viols.
Cette proportion serait politiquement inassumable si tous les viols étaient traités comme tels.
C’est probablement cette vérité que l’on tente de camoufler.
Au détriment des victimes.
Au bénéfice des violeurs.
Au détriment encore d’une vraie politique de lutte contre les violences sexuelles en France.

Cette décision est une exception encore car elle prend en compte la contrainte morale et la question du consentement, toujours centrale dans les viols au travail.
Elle renoue avec des jurisprudences favorables aux femmes, qui déjouent réellement les stratégies des agresseurs.

Au-delà de cette première victoire personnelle pour Mme C., cette décision est gratifiante et réjouissante en ce qu’elle traduit une reconnaissance de l’analyse féministe des violences.

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