Avocat et Employeur

Les cordonniers sont les plus mal chaussés… et les avocats en droit du travail se moquent du Code du travail.

Mme L l’a compris à ses dépens.

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Mercredi 2 septembre, Cour d’appel de Paris.
Audience en appel pour Mme L, assistante juridique licenciée pour faute lourde alors qu’elle était victime de discriminations liées à sa maternité et à sa situation de famille, qui attaque son employeur, un grand cabinet d’avocats parisien.

Mme L a travaillé dans ce cabinet pendant deux ans et tout se passait très bien : elle était régulièrement augmentée, ses employeurs était satisfaits de son travail et elle était épanouie professionnellement.
Dans le cabinet régnait une ambiance « familiale », assez conviviale…
Sauf que :

  • On demandait aux femmes, avocates comme assistantes, de ne pas avoir d’enfants, évidemment sur le ton de la plaisanterie,
  • Une avocate qui avait un enfant en bas age l’a confié dès ses deux mois, à sa mère à Marseille, car elle ne pouvait se rendre assez disponible pour s’occuper de son enfant,
  • Une autre payait une nourrice à domicile et ne voyait son enfant que le week-end,
  • Aucune des assistantes n’avait d’enfant.

Puis Mme L a annoncé une fausse couche à son employeur.
A son retour d’arrêt maladie, l’organisation du cabinet change, c’est elle qui passe à l’étage « droit des affaires », où elle fait de l’organisation de salles, de plannings et des cafés alors qu’auparavant, elle s’occupait des dossiers de plaidoirie, fonction plus qualifiée. Elle n’a plus du tout de contentieux dans ses missions.

Quelques mois plus tard, elle annonce une nouvelle grossesse.
En réaction, et soit-disant pour la « protéger », on la fait passer au standard, où elle ne bouge pas et ne porte rien.

A son retour de congé maternité, on ajoute à ses missions la gestion des fournitures de bureaux.

Elle n’a pas, comme les hommes récemment devenus papas, un cadeau de l’équipe, ni droit à une petite fête pour la féliciter… Elle décide de ne pas s’en formaliser.
Elle ne peut pas comme les avocats hommes confier le soin du bébé à sa femme ( !).
Elle ne peut pas non plus, comme les avocates femmes payer une nourrice 12 ou 13 heures par jour,
Enfin, elle veut simplement s’occuper de son enfant, tout en respectant ses horaires de travail (35 heures).

Une de ses collègues du contentieux démissionne. Elle prend en charge les deux postes pendant plusieurs mois. Mais une fois la nouvelle assistante juridique formée par ses soins, on lui retire alors tout le travail juridique, pour ne lui laisser que « la responsabilité » de la gestion des stocks (voir chez qui les bics coûtent le moins cher). Son employeur prétend alors que c’est une évolution positive.

En dépression, elle est alors arrêtée par son médecin.
Son employeur, après lui avoir ordonné verbalement et en hurlant de démissionner, la licencie pour faute lourde, en utilisant des prétextes fallacieux.

Ce n’est pas une affaire anodine, une femme a été contrainte par un cabinet d’avocats peu scrupuleux de choisir entre vie familiale et vie professionnelle.
Des avocats spécialisés en droit du travail ont organisé le départ de leur assistante parce qu’ils ne veulent pas assumer des arrêts maladie et des congés maternité. Parce qu’ils refusent une salariée qui souhaite avoir une vie en dehors de son travail.

Et pourtant c’est si commun. C’est la règle dans les grands cabinets d’affaire parisiens.

Les femmes doivent choisir entre carrière professionnelle et vie de famille.
Les femmes qui aspirent à devenir associées(1) C’est l’aboutissement recherché par la plupart des avocat-e-s. doivent refouler leur désir d’enfants.
Les avocates ont intégré cette règle. L’envie de devenir mère est toujours teintée d’angoisse : « Comment cela va t-il se passer ? » « Vais je garder mon emploi ? » « Peut-être vaut-il mieux changer de métier ??? ».

En quittant le Conseil de prud’hommes, l’avocate qui a défendu le cabinet vient serrer la main de Mme L en lui disant : « Vous savez je ne fais que mon métier ; il y a la plaidoirie et il y a la vraie vie. Sans rancune ? ». A t’elle bien dormi hier soir ?

Les requêtes de ce type sont très rares ; le fait que l’employeur soit un avocat, nécessairement bien défendu, est évidemment un obstacle. Le fait que les avocats soient généralement réticents à l’idée d’attaquer un autre avocat en est un autre.
Or les avocates et salariées de cabinets d’avocats qui témoignent de parcours similaires à celui de cette assistante juridique sont légion.

Nous remercions Mme L pour son courage.
Nous remercions également son avocat, Me Bitton, qui n’a pas hésité à mettre en cause ce grand cabinet.

Nous espérons que ses arguments, puisque Mme L n’a eu la parole, auront porté et que cet employeur sera sanctionné pour avoir bafoué le droit du travail et l’égalité entre les hommes et les femmes.

Délibéré le 27 octobre prochain.

Notes

1. Dans les cabinets d’avocats, il y a le plus souvent coexistence de deux statuts : les collaborateurs-trices, à leur compte, qui travaillent pour le cabinet, et les associé-e-s, qui dirigent le cabinet, et sont intéressés aux bénéfices. Le statut d’associé est une reconnaissance des compétences et de la confiance portée à un-e avocate.

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