Tribunal correctionnel de la Roche-sur-Yon, 11 janvier 2010

Madame L. a déposé une plainte contre son collègue M. B. pour agression sexuelle. Elle est fonctionnaire à la Direction départementale des services vétérinaires.
Après un pot d’anniversaire, M. B. entraîne Mme L. à la cave sous un prétexte professionnel fallacieux. Il ferme la porte pour l’empêcher de sortir et lui met les mains sur la poitrine sous son corsage et tente de l’embrasser.

Madame L. nous a saisies le 10 mars 2009 et nous l’avons rencontrée le 7 mai 2009 lors d’un déplacement à Poitiers. Son « dossier » était déjà bien avancé car elle avait initié plusieurs démarches au préalable auprès de sa hiérarchie et de la déléguée départementale aux droits des femmes. Elle avait déposé une plainte, l’enquête préliminaire venait de se terminer et l’officier de police judiciaire avait transmis le procès-verbal de fin d’enquête au procureur.
Trois semaines après notre entretien, Mme L. nous apprend qu’une date d’audience est fixée.

L’audience, initialement prévue le 5 octobre 2009, est reportée au 11 janvier 2010 pour cause de défection de l’avocate de Mme L. ! Celle-ci lui proposait en effet de changer d’avocate car elle considérait, après avoir lu les conclusions de l’AVFT, que l’association « exagérait considérablement l’affaire ».
Mme L. souhaitait de toute façon choisir un-e autre avocat-e car elle ne se sentait pas comprise par elle et estimait qu’elle s’adressait à elle de manière agressive et humiliante. Cette avocate n’avait en outre pas fait les diligences élémentaires dans une telle procédure pénale, comme se faire communiquer le dossier pénal par le greffe du Tribunal en vue de l’audience ; Mme L. avait dû s’en enquérir elle-même, provoquant les foudres de son avocate.

Le 11 janvier 2010, jour de l’audience, le nord de la France est totalement bloqué par les chutes de neige et les trains ne circulent pas en raison du gel des rails. E. Cornuault, représentant l’AVFT, décide de se rendre à la Roche-sur-Yon en voiture, espérant que les routes soient salées.

Les parties étaient convoquées à 14 heures, mais l’ « affaire » n’a été appelée qu’à 20H30 après une longue, très longue journée d’audiences.

Trois des six premières « affaires » jugées ont trait à des trafics de stupéfiants, les prévenus sont en garde à vue et sont pour bonne part d’origine africaine ou maghrébine. Ceci nous a permis de vérifier que, si les tribunaux font trop souvent figures de caisses de résonnance aux stéréotypes sexistes, les stéréotypes ethniques ne sont pas en reste. A titre d’exemple, voici un des échanges entre le président de l’audience, le prévenu et son avocat :
Le Président s’adresse à un prévenu d’origine marocaine et ayant habité Sarcelles, en banlieue parisienne (les deux autres prévenus dans cette « affaire » sont tous les deux de type dit « caucasien ») : « Nous ne sommes pas à Sarcelles, ici Monsieur. On ne fait pas ce qu’on veut. En France non plus d’ailleurs ». La procureure surenchérit en requérant, en autre, « l’interdiction du territoire de la Vendée que l’on se doit de protéger ».
L’avocat du prévenu réagit tout d’abord physiquement en ouvrant grand les yeux de stupeur, puis lors de sa plaidoirie en ces termes : « Je suis très choqué par vos propos, M. le Président car ils stigmatisent une certaine frange de la population. Par ailleurs, je pensais que la justice était universelle ».
Le Président, visiblement mal à l’aise, lui rétorque : « Ce n’est pas mon procès, Maître ».

A 19h20, le Tribunal juge un retraité prévenu d’avoir commis une agression sexuelle sur une mineure venue vendre des tickets de tombola à son domicile.
Il ressort des éléments du dossier pénal lu par le Président que le prévenu a touché la poitrine et les fesses de la jeune femme en lui disant : « je peux ? » et « j’ai envie de te baiser ». Il a par ailleurs proposé à s?ur, adolescente, de coucher avec elle, alors qu’elle passait dans la rue, un autre jour.
L’auteur nie et affirme : « j’ai trois enfants, je ne les ai jamais touchés ».
La jeune femme, manifestement très traumatisée, est présente dans la salle, mais elle ne souhaite pas parler au Tribunal. Elle est recroquevillée sur sa chaise, la tête baissée et elle pleure. Son avocat demande 500? de dommages et intérêts, ce qui semble particulièrement sous-évalué au regard de l’âge de la victime, de celui du prévenu et du traumatisme persistant.
Le Tribunal se retire un quart d’heure pour délibérer : l’agresseur est condamné à seulement trois ans d’emprisonnement avec sursis, ce qui n’est pas de très bonne augure pour notre audience. Mme L. étant majeure, elle redoute que les violences qu’elle dénonce soient perçues comme « moins graves ».

A 20h30, l’audience qui nous amène au Tribunal débute enfin. Les magistrats n’ont pris aucune pause et semblent particulièrement fatigués. Comment dans ces conditions la justice peut-elle être correctement administrée ? Comment ces magistrats, qui sont aussi des êtres humains, peuvent-ils être encore suffisamment alertes et poser les bonnes questions, faire des efforts de compréhension, traquer les contradictions ? La « nouvelle carte judiciaire», autre façon de désigner la fermeture de nombreux tribunaux et conseils de prud’hommes de proximité décidée par Mme Dati, alors Ministre de la justice, contribue à engorger encore davantage ceux qui sont maintenus.

Contre toute attente, M. B. a de nouveau changé de version. Il accuse Mme L. d’avoir fait « tout un pataquès », nie totalement les faits alors qu’il les avait reconnus auprès de sa hiérarchie et s’en était même excusé par écrit auprès de Mme L. Puis il tentera de s’expliquer en disant qu’il avait trop bu, sans se rendre compte que, loin de le faire bénéficier de l’indulgence du Tribunal, ce fait constitue légalement une circonstance aggravante.

Il persiste à dire qu’il ne s’est rien passé, qu’il a peut-être « malencontreusement glissé sur ses seins » et il ajoute « j’étais fatigué ». Le mise en cause est manifestement mal à l’aise et ne cesse de jeter des coups d’?il vers le fond de la salle à l’endroit où se trouve son épouse. Il refuse de s’exprimer dans le micro, si bien qu’il est difficile de comprendre ses propos lorsque l’on est loin, ce qui entrave le principe de la publicité des débats.
Le Président l’interrompt et lui rétorque : « cela devient compliqué, vous vous enfermez ». Et il s’en tient à cette unique remarque sans continuer l’interrogatoire afin de le confronter à ses contradictions et multiples versions. Il est pourtant tangible qu’il ment.
Me Pelé, l’avocate de la victime lui demande : « Vous avez dit lors de l’expertise psychiatrique, que vous pensiez à elle lors de vos rapports sexuels avec votre femme. Est-ce vrai ? ».
Il nie à nouveau en disant que ces paroles ont été déformées.

Mme L. est entendue et confirme l’état de choc dans lequel elle s’est retrouvée et dont les effets perdurent actuellement, la contraignant à demander sa mutation car M. B ne semble pas avoir compris « l’importance de son geste ».

Me Pelé plaide sur la gravité des agissements de M. B. et insiste particulièrement sur leur retentissement sur Mme L. Elle ajoute que « la cascade de conséquences entraînée par cette agression est imputable à M. B. et notamment parce « qu’il ne semble pas avoir pris conscience de son acte ». S’il avait maintenu ses excuses, Mme L. n’aurait en effet pas estimé utile de porter plainte contre lui pour qu’il réponde de ses actes.

E . Cornuault, représentant la constitution de partie civile de l’AVFT, met en exergue le nombre important de changements de versions dont la dernière est particulièrement ridicule et tend à démontrer qu’il ne regrette en rien son acte et qu’il souhaite au contraire à tout prix en minimiser la portée afin d’échapper à une condamnation. Elle intervient également en analysant la stratégie de M. B. afin de battre en brèche la thèse de la fatigue, de l’influence de l’alcool et pour montrer comment ce dernier a, en adoptant dans un premier temps un comportement amical avec Mme L., « endormi » ses systèmes d’alarme.
Après avoir développé les éléments de preuve étayant la parole de la victime et constituant un faisceau d’indices concordants, E. Cornuault souligne l’importance du traumatisme vécu par Mme L.

La procureure introduit son réquisitoire par un des stéréotypes les plus souvent véhiculés en matière de violence sexuelle au travail : « dans cette affaire, c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre » (ignorant superbement le faisceau d’indices concordant développé par l’AVFT quelques minutes plus tôt).
Elle poursuit en ces termes : « l’impression que j’ai eue aujourd’hui c’est qu’il s’est trompé, il a cru qu’elle était d’accord, mais les faits sont simples, c’est une agression sexuelle avec une très mauvaise gestion de l’employeur qui fait que nous sommes là aujourd’hui ».
Elle ajoute que cela ne s’est produit qu’une fois et qu’il y a des agressions sexuelles plus graves et requiert quatre mois d’emprisonnement avec sursis.

L’avocate de la défense entame sa plaidoirie en regrettant l’heure tardive, dont elle dit avoir conscience, mais qu’elle a pour devoir de défendre son client. Elle lit la lettre d’excuse écrite par M. B. et commente : « la véritable sincérité exprimée, elle sort de ces tripes et on ne peut en douter ».
S’engouffrant dans la brèche ouverte par la procureure, elle axe ensuite toute sa plaidoirie sur la mauvaise gestion du « conflit » par l’administration dont on ne pourrait rendre responsable M. B. : « je ne reproche pas à Mme L. d’avoir porté plainte mais c’est le pourrissement de la situation par la communauté de travail dont pâtit M. B ».
Elle continue en reprochant à l’AVFT un manque de professionnalisme : « Contrairement à ce que dit Mme Cornuault, M. B. a toujours fait le même récit, mais bon ma consoeur et moi-même sommes des professionnelles… », alors qu’il ressort très clairement des procès-verbaux d’audition et des déclarations du jour que M. B. a changé au moins trois fois de version.

A 22h20, les juges annoncent que le délibéré sera rendu en fin d’audience après la dernière « affaire ».

A 23h20, ils se retirent un quart d’heure pour délibérer. M. B. et condamné à deux mois d’emprisonnement avec sursis et à payer 500? de dommages et intérêts à Mme L. et 1? pour l’AVFT.

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