Récit d’une confrontation face à l’agresseur, une étape de l’enquête pénale.

#CONFRONTATION

#DÉLAIS DÉRAISONNABLES

#RACISME

Prévoyantes, nous sommes arrivées à 9h alors que Madame était convoquée à 9h30. Il a fallu se lever tôt pour être à l’heure dans cette petite commune du Val d’Oise. L’avocate qui accompagne la victime aujourd’hui n’est pas son avocate habituelle. Elle a été trouvée in extremis, car si les juristes de l’AVFT peuvent accompagner les victimes pour qu’elles ne soient pas seules, elles ne peuvent ni les représenter en justice, ni assister à la confrontation.

Cela fait déjà 4 ans que Madame a porté plainte pour harcèlement sexuel et agression sexuelle contre un collègue de travail, son « binôme » avec lequel elle devait effectuer des rondes dans une gare lorsqu’elle était agente de sécurité.

Malgré son dépôt de plainte quelques jours après les faits, donc très rapide, l’enquête a piétiné pendant des années. Les vidéos de caméra surveillance, qui auraient permis de corroborer les faits, n’ont même pas été saisies, et sa visite à la médecine légale (UMJ) a été perdue. C’est Madame qui a dû appeler les UMJ pour leur demander de lui envoyer un double.

En juin dernier, l’AVFT avait écrit au parquet de Pontoise, où les délais sont particulièrement catastrophiques, pour demander où en était l’enquête et rappeler que des délais si longs pourraient engager la responsabilité de l’Etat.

Six mois (!) après, l’AVFT recevait un courrier succinct indiquant que l’enquête était toujours en cours. L’original du courrier que nous avions envoyé était en pièce jointe.

La gendarmerie est exiguë. On s’y bouscule un peu.

« Ah ça pour les gestes obscènes, tu es fort ! » lance un gendarme à un autre entre deux portes.

Ambiance.

Malgré tout, les gendarmes sont plutôt prévenants avec les usagers et de nombreuses affiches contre les violences sexuelles, conjugales et familiales sont punaisées partout.

Il est 11h. La confrontation n’a toujours pas commencé. On tourne en rond. On discute de tout et de rien.

« – Comment vous vous sentez ? Ça va ?

Oui, je veux juste que ça se termine. Vous savez mon avocate m’a conseillé d’aller voir la médecine du travail pour changer mes horaires à l’hôpital, parce que je finis à 21h30, et j’ai peur, très peur, quand je rentre chez moi le soir et qu’il n’y a personne. Si je me fais agresser, il n’y aura personne. Depuis l’agression, j’ai toujours peur. A l’hôpital c’est bien, parce qu’il y a toujours du monde. »

Madame a régulièrement pris des nouvelles de sa procédure. L’officier qui en a la charge et qui mènera la confrontation lui a toujours répondu plus ou moins rapidement, ce qui n’est pas toujours le cas.

L’AVFT l’a eue au téléphone la veille. L’avocate la prépare un peu sur le parking.

« Il va raconter sa version des faits, ensuite vous raconterez ce qu’il s’est passé. C’est souvent une impasse la confrontation car les deux parties restent sur leurs déclarations. Mais parfois, si les enquêteurs ont bien fait leur travail, ils peuvent pointer la contradiction de la version du mis en cause. Les avocats peuvent poser des questions, mais si je n’en pose pas, ne vous inquiétez pas, c’est que j’estime que ce n’est pas nécessaire. Rappelez-moi, vous avez appelé qui quelques minutes après l’agression ? ».

En général, les confrontations sont organisées en fin d’enquête, leur intérêt étant de confronter la victime et le mis en cause une fois que l’enquêteur a déterminé les éléments qui divergeaient dans leurs déclarations. L’enquêteur enverra ensuite le dossier avec les conclusions d’enquête au procureur qui décidera de l’opportunité des poursuites : un classement sans suite ou une ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel.

L’enquêteur sort du bureau.

« Il relit sa déposition, et ensuite vous pourrez entrer ». C’est la deuxième fois qu’il est auditionné au cours de l’enquête.

« Je n’ai pas eu le droit de relire mon audition moi. J’ai demandé on a refusé » me dit-elle.

Vingt minutes plus tard, le mis en cause et son avocat sortent. Il a l’air chétif. Dans les locaux étroits, il frôle Madame pour sortir fumer une cigarette. Elle se raidit. Il n’ose pas la regarder. Elle garde la tête haute. Elle ne l’a pas revu depuis qu’il l’a menacée après les agressions.

« Vous pouvez entrer, les avocats vous vous mettez au milieu ».

L’attente est longue.

Deux heures et demi plus tard, Mme est sortie.

Son avocate est amère. « Cela ne sert à rien. Cela n’a servi à rien. Aucune enquête n’a été faite. Ils ont passé deux heures à reprendre les faits, il a nié tout en bloc. C’était stérile, inutile et long sans raison ».

Madame est en colère. Contre cette procédure, contre la police, qui était d’abord en charge de l’enquête avant qu’elle ne soit confiée à la gendarmerie et qui pendant deux ans n’a interrogé personne, n’a pas récupéré les bandes de caméras, n’est jamais allée sur les lieux pour voir la guérite où se sont déroulé les agressions, comme le regrette maintenant le gendarme en charge de l’enquête.

Elle me rapporte la « défense » de l’avocat du mis en cause :

« Madame a porté plainte parce que Monsieur est blanc. Elle pensait pouvoir en tirer de l’argent ».

Les propos nauséabonds et racistes ne lui auront pas été épargnés.

Je quitte Madame à Gare du Nord.

« Tout ça pour ça ».

Vesna Nikolov

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