Nous vous faisions part, dans un précédent article, de la situation de la Dr A., praticienne hospitalière dans une unité de grossesse à haut risque, agressée sexuellement par son confrère, le Dr B. Il avait empoigné sa poitrine par surprise en mai 2016.
Un an plus tard, il lui avait également « caressé » les cheveux, déclenchant immédiatement de l’anxiété chez elle, lui rappelant l’agression précédente.
Le Dr B. était également signalé pour harcèlement sexuel et agressions sexuelles à l’égard de subordonnées et de patientes. Il avait même était affublé d’un petit surnom, « Monsieur Pouce », par les sage-femmes du service, qui constataient qu’il enlevait son pouce de son doigtier lors de touchers vaginaux.
Quasiment deux ans après que la Dr A. a dénoncé les faits, le Dr B. a été « sanctionné » par la chambre disciplinaire de l’ordre des médecins d’une interdiction d’exercer ses fonctions pour une durée d’un mois avec sursis… Quelle sanction dissuasive !
Mme A. avait également engagé une procédure pénale. Se constituer partie civile à ses côtés a donc été une évidence pour l’AVFT étant donné que nous l’accompagnons depuis les débuts de ses démarches.
Retour sur l’audience correctionnelle qui s’est tenue le 21 octobre 2024.
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Notre communiqué de presse en soutien à Mme A ici
Nonchalance et impunité, même à la barre les agresseurs se sentent toujours dans leur bon droit
M. B. a eu 7 ans pour réfléchir à ses actes, à sa stratégie de défense, à ce qu’il allait dire le jour de l’audience. Mais à la barre, il est bras croisé et prétend ne pas comprendre ce qu’il fait là.
Il explique que « toucher le corps des gens, c’est un mode de communication, c’est une attitude », que même s’il sort du cadre professionnel, « ça a toujours été comme ça ».
« La société a beaucoup changé, je suis resté vieille école ».
Quel choc ! M. B. s’est réveillé un matin dans un monde qui réprimait déjà depuis longtemps les agressions sexuelles.
Quand le juge rapporteur lui demande : « vous êtes-vous questionné sur cette société ? », puis lui demande de se mettre à la place de la victime en demandant comment il réagirait si, par exemple, on lui empoignait le pénis, M. B répond : « ça ne fait pas parti des traditions ».
En effet. Ne se demande-t-il pas pourquoi ?
Le juge poursuit alors : « vous vous rendez compte que ces traditions sont très asymétriques ? » soulignant des rapports inégaux historiques entre les femmes et les hommes. M. B ne sourcille pas : « moi, ça m’aurait fait marrer ».
M. B assure être dans son bon droit : « je dis « les poulettes », « les filles » (ndlr : pour s’adresser à ses subordonnées) si ça vous choque, tant pis ». Concernant une autre victime, à qui il avait imposé un « bisou » dans le cou, il explique : « je fais des bisous dans le cou à plein de gens, j’en ai tellement fait c’est un geste habituel », et va même jusqu’à insulter la victime de « nunuche ».
Après l’excuse du conflit générationnel, c’est maintenant celle de l’humour qui prend le pas :
M. B. prétend une « bonne blague », expliquant que « si on avait été à l’internat, on aurait bien rigolé ». Il exprime un besoin « de dire des conneries pour décompresser », et de « légèreté », étant donné la pénibilité du travail. Mme A., elle, quand elle sort d’une dure journée au travail, n’agresse personne. C’est peut-être parce qu’elle trouve du réconfort ailleurs que dans l’asservissement d’autrui.
Devant un tribunal jusqu’à présent peu convaincu, voire même agacé par l’attitude des plus tranquilles de M. B, qui ne cesse d’interrompre le juge et la Présidente, il prétend ensuite qu’il « faisait de l’ombre à Mme A. » dans un contexte de « concurrence professionnelle ». On n’est plus très loin de la thèse du complot. Mais quel est l’intérêt d’un complot quand l’agresseur avoue les faits ? On n’a pas très bien compris. Le tribunal non plus.
Par la suite, M. B s’attache à faire comprendre à la salle qu’il n’avait pas envie de « coucher avec Mme A. ». Les juges ont beau lui rappeler que ce n’est pas le sujet, qu’on peut agresser sans que cela ne signifie rechercher un acte sexuel, M. B insiste, jusqu’à décrire le cadre dans lequel il a commis une agression sexuelle : « à quatre heure du matin, il y a de la merde, de la pisse,… ça me fait pas bander ce cadre-là ».
Lors des questions relatives à sa personnalité, le tribunal demande à M. B ses revenus, son patrimoine. Alors qu’il n’a pas précisé l’existence d’une résidence secondaire, Me Marjolaine Vignola, avocate de Mme A, lui demande d’en mentionner l’adresse, ce à quoi M. B répond d’un ton libidineux : « Pourquoi ? Vous voulez venir me voir ? ». Le sentiment d’impunité persiste jusqu’au bout.
L’attitude de M. B est celle d’un homme qui ne supporte pas d’avoir à rendre des comptes. S’il s’autorise une telle nonchalance, c’est bien en raison de son statut : c’est un médecin. Il a un statut de sachant, il sait que sa profession profite d’une image positive, nécessaire, vitale, dans la société, celle du héros qui sauve des vies, notamment des vies d’enfants à naître.
Bien que les juges aient pu se montrer parfois décontenancés face à l’arrogance de M. B, ils partagent avec lui une proximité de classe, ce dont il a bénéficié pendant l’audience, en particulier au moment de la plaidoirie de son avocat, Me Benaïem, ci-après décrite.
Des plaidoiries féministes pour remettre les choses à l’endroit
L’AVFT, représentée par Tiffany Coisnard à l’audience, n’a pas pu prendre la parole avant de plaider ses observations. Face à un tribunal fermé à la présence de l’association, elle décrit l’ambiance sexiste qui règne dans le milieu médical, depuis les études de médecine à l’exercice du métier dans une unité de grossesse à haut risque, en précisant les facteurs de risques spécifiques à ce secteur. Elle détaille également les stratégies dont a usé l’agresseur pour commettre les violences, démontrant ainsi qu’il avait parfaitement conscience d’outrepasser le consentement de Mme A., s’appuyant sur les nombreux autres dossiers dans le secteur médical à l’association. Si sa plaidoirie a été accueillie avec peu d’enthousiasme au début, les juges ont semblé plus réceptifs lorsqu’elle a décrit les stratégies des agresseurs.
Me Vignola, avocate de Mme A., prend la suite, avec le brin d’humour qu’on lui connaît. Alors qu’elle avait, lors des débats, demandé à M. B. d’expliquer sa « blague », déplorant ne pas pouvoir rire avec lui, elle qui aime pourtant la comédie, elle commence sa plaidoirie en décrivant les propos et comportements de « Monsieur Pouce », terme qu’elle a répété, puis a fini par s’en expliquer : « ah oui, au fait, Monsieur Pouce, c’est M. B. » rappelant pourquoi ce pseudonyme lui avait été attribuée par les sage-femmes du service. Elle a détaillé ensuite, avec beaucoup de précisions, les préjudices subis par Mme A., ceux qui concernent sa carrière et sa vie professionnelle, puisqu’elle a perdu son emploi à cause des violences, sur sa vie de couple, sur sa santé.
Elle a chiffré l’ensemble des préjudices à 250 000 euros. Un chiffre qui fait bondir la partie adverse, mais qu’elle justifie ainsi : « remettre la victime dans la situation dans laquelle elle serait s’il n’avait pas commis ces violences, c’est à ça que sert l’indemnisation. Les violences sexuelles ont un coût énorme. Le minimiser, c’est minimiser les violences. C’est un tsunami dans la vie d’une femme et il en est responsable ». Elle terminera en disant attendre un jugement qui « remette les choses à l’endroit ».
A la recherche du ministère public
La Procureure, de son côté, semble avoir découvert le dossier le jour-même. Elle se contente d’un cours de droit sur les définitions des infractions qui lui sont reprochés et souligne que M. B ne se remet pas en question. Pas un mot de plus. Elle requiert 2 ans de sursis, 3 000 euros d’amende, une interdiction d’exercer la médecine pendant 2 ans, une interdiction d’entrer en contact avec les victimes pendant 3 ans, et une inscription au fichier des auteurs d’infractions sexuelles.
Si vous vous demandez à qui a profité la plaidoirie de cette Procureure, regardez qui s’en satisfait dans la salle : Me Benaiem, avocat de M. B, s’adressera directement à elle en ces termes lors de sa plaidoirie « on parle le même langage vous et moi » puis ira même jusqu’à la remercier. Le ministère public – qui porte l’accusation, donc – remercié par l’avocat du prévenu, quoi de plus normal ?
« Bientôt Me Too chiens », la partie adverse en roue libre
Dans sa plaidoirie, Me Benaiem mobilise tous les stéréotypes possibles et inimaginables pour décrédibiliser Mme A. :
Après nous avoir reproché un « discours victimaire » qui consisterait à dire que « les hommes sont tous des violeurs », il enchaîne avec une comparaison des plus tirées par les cheveux : « On ne dirait pas « les juif sont tous des voleurs » ou « les arabes sont tous des voleurs ». On accepte ce discours victimaire seulement parce que ce sont des femmes ». Il s’attaque ensuite plus frontalement à l’AVFT, mécontent de notre présence, nous appelle « l’association Me Too machin » en agitant sa main à proximité du visage de Tiffany Coisnard. Rappelant les propos de Mme A. qui disait à propos de M. B qu’il lui avait « caressé la tête comme à un chien », Me Benaiem conclut : « bientôt Me Too chiens ».
Me Benaiem continue sur sa lancée et prétend une « époque trouble », difficile pour « les hommes blancs passés 50 ans ». A l’adresse de M. B, il déplore : « Qui est venu lui dire que le monde change ? personne ne l’a informé de rien »… Sans commentaire.
Concernant les victimes, il s’attaque d’abord aux demandes sur les préjudices de Mme A. et, rappelant le vocabulaire mobilisé pour humilier les femmes mises en prostitution, prétend que Mme A. chercherait simplement à « joindre l’utile à l’agréable » en demandant 250 000 euros, et ajoute : « sa souffrance, j’ai un peu de mal à y croire ». Le mépris continue en évoquant les faits : « on ne peut pas se croire victime d’une chose pareille. C’est pas une orthodoxe au fin fond de Jérusalem, elle est pas voilée. ». L’avocat termine sa plaidoirie ainsi : « M. B est une victime expiatoire innocente du combat féministe ».
A entendre autant d’inepties en si peu de temps, on pourrait croire que le discours de Me Benaiem ne fait que ridiculiser son client, pourtant, le juge rapporteur et lui partagent des sourires complices pendant toute la durée de sa plaidoirie.
Le délibéré a été rendu le 25 novembre 2024. Il condamne M. B pour une partie des faits pour lesquels il était prévenu.
Plus d’informations sur le délibéré dans notre article ici.
Tiffany Coisnard pour l’AVFT